Hommage à Charles Vulliez

 

Charles Vulliez, membre de l’équipe des Fasti Ecclesiae Gallicanae, nous a quittés le jeudi 13 mai 2021.

CVulliez
La façade néo-gothique de la cathédrale Sainte-Croix d’Orléans. cl. Irène Jourd’heuil 2021.

Né le 1er mars 1938, il passe son enfance à Alger où, élève au lycée Bugeaud (aujourd’hui, lycée Émir-Abdelkader), un enseignant lui fait prendre conscience de sa vocation pour l’histoire, médiévale bien sûr, mais aussi celle de la civilisation grecque pour laquelle il conservera toute sa vie un profond attachement. Rapatrié en France dans le contexte de la guerre d’Algérie, ce brutal retour au pays devait être pour lui une deuxième naissance en tant qu’historien. Après une jeunesse marquée par des difficultés matérielles et familiales, il devient étudiant à la Sorbonne. Titulaire du CAPES (il enseigne quelque temps dans un lycée technique à Beauvais) puis de l’agrégation en 1967, il est appelé en 1969 par Pierre Riché à l’Université de Paris-Nanterre où il passe une grande partie de sa carrière, d’abord comme assistant d’histoire du Moyen Âge puis maître de conférences. C’est sous la direction du professeur Riché qu’il engage une recherche de longue haleine (et qu’il n’a jamais abandonnée) sur les écoles d’Orléans et l’histoire de l’éducation. En 1994, il soutient sa thèse d’État intitulée Des écoles de l’Orléanais à l’université d’Orléans (Xe-début de XIVe siècle). Lors de sa soutenance, le professeur Louis Holtz déclare qu’il y a « matière à au moins trois livres », l’invitant de ce fait à poursuivre ses travaux dans trois grandes directions : l’étude des institutions scolaires et universitaires, des méthodes et en particulier du dictamen, des personnels ecclésiastiques et universitaires.

Élu professeur en 1994, il quitte Nanterre pour rejoindre l’Université de Reims où il occupe ses fonctions jusqu’à sa retraite en 2003. Une retraite active dont témoignent l’ampleur et la diversité de ses recherches au cours des dix-huit années suivantes et ce malgré une santé défaillante, en particulier des problèmes de vue aggravés avec le temps, mais qui n’ont jamais entamé sa vitalité intellectuelle.

Grand spécialiste de l’histoire de l’éducation, fin connaisseur des écoles orléanaises, il poursuit inlassablement ses investigations sur les techniques et programmes d’enseignement médiévaux, s’attachant avec ardeur à l’étude du dictamen, un thème de recherches dont il est un instigateur en France. À ce titre, il est aussi un historien confirmé des textes et des institutions religieuses. Ses nombreuses publications et interventions scientifiques témoignent de sa rigueur et de sa faculté à exploiter et éclairer aussi bien les sources diplomatiques ou encore hagiographiques. Toujours dans la continuité de ses sujets de prédilection, il écrit également beaucoup sur l’abbaye Saint-Mesmin de Micy avant de lancer l’idée d’une nouvelle édition et d’une traduction française des Miracula de Létald de Micy (Xe siècle). Ce projet donne lieu à la mise en place d’une équipe de travail constituée autour d’Anne-Marie Turcan-Verkerk et de Gisèle Besson et à laquelle Charles Vulliez apporte fidèlement et de manière assidue son expertise pendant près de quatre ans.

Sa constante implication dans la recherche s’exprime aussi bien à travers son insertion dans de nombreux réseaux scientifiques, autant de viviers qui nourrissent de solides amitiés. Ces contacts humains sont pour lui un précieux soutien moral, sa retraite exacerbant un sentiment croissant de solitude et les souvenirs douloureux de son passé. Membre résidant de la Société nationale des antiquaires de France, il est de même un membre actif de la Société des historiens médiévistes de l’enseignement supérieur public ainsi qu’un collaborateur régulier de la Société historique et archéologique de l’Orléanais (qui lui dédie son numéro de 2021). Son engagement en faveur des études orléanaises a naturellement justifié son association à l’équipe des Fastien vue de la rédaction du tome consacré au diocèse d’Orléans. Il a régulièrement assisté aux journées d’étude des Fastijusqu’en mars 2021. Lors de celle de 2000, il avait présenté la notice institutionnelle de son futur volume. Il y manifestait sa bienveillante attention en conseillant et épaulant ses collègues lors des débats. Enfin, de manière plus intime, il est un chrétien convaincu et participe étroitement à la Paroisse universitaire, ce qui le conduit à honorer de sa présence les week-ends du groupe de Nanterre à l’abbaye Notre-Dame du Bec-Hellouin.

Lors de ses dernières années, soucieux d’organiser la transmission de ses travaux, Charles Vulliez s’entoure de nouveaux collaborateurs qu’il associe étroitement à son environnement de travail. Il conserve précieusement avec lui des masses d’érudition éclairée qui sont le fruit de décennies de collectes documentaires (entre autres, reproductions de manuscrits réalisées aux quatre coins de l’Europe) et bibliographiques (plusieurs de ses ouvrages intéressant l’Orléanais et les pays ligériens sont difficilement trouvables ailleurs). Avec la dévotion intellectuelle, la minutie mais aussi une touchante discrétion qui ont marqué tous ceux qui l’ont côtoyé, Charles Vulliez s’emploie patiemment à constituer, en plus de ses liasses de copies de sources dont il reprend sans cesse la critique, une quantité impressionnante de dossiers monographiques (communautés religieuses de l’Orléanais) et prosopographiques relatifs au clergé d’Orléans (évêques, chanoines du chapitre cathédral Sainte-Croix d’Orléans et bien entendu maîtres et écoliers). Désireux de partager un tel trésor, il fait de son appartement de la rue des Pyrénées (20e arrondissement de Paris) un temple dédié à la recherche et un lieu d’accueil et d’études pour ses collègues. Ces derniers peuvent alors pleinement apprécier sa disponibilité, sa gentillesse, sa simplicité déroutante et charismatique, sans compter sa prodigieuse mémoire (par exemple, il est capable de décrire avec précision le contenu de nombreux microfilms en se repérant uniquement à leur cote). Savant de longue expérience, Charles Vulliez s’efforce enfin d’être un homme de son temps. Son bureau, un lieu incontournable pour qui est amené à travailler avec lui, est aussi un lieu d’expérimentations numériques et de mise à niveau informatique. Son intérêt pour les nouvelles technologies (qui convient tout autant à sa soif de connaissances) porte ses fruits ne serait-ce qu’au travers de la numérisation de sa thèse d’État : la mise en ligne complète de ce monument scientifique est en cours d’achèvement sur le site HAL.

La poursuite de l’œuvre de Charles Vulliez est le plus bel hommage qui puisse lui être rendu. C’est dans cet esprit que les Archives départementales du Loiret et la Société archéologique et historique de l’Orléanais ont accepté de devenir dépositaires d’une grande partie de ses dossiers. Les notices institutionnelles qu’il a rédigées à propos du diocèse d’Orléans sont d’ores-et-déjà à intégrer au prochain volume orléanais des Fasti. La rédaction de cet ouvrage (auquel son nom sera évidemment associé) sera un autre moyen concret de cultiver le souvenir chaleureux de notre collègue et ami.

 

Paul Chaffenet, avec l’aide d’Amandine Le Roux

Isabelle Heullant-Donat, Charles Vulliez (1938-2021). In memoriam [en ligne].

Michel Sot, « Pour Charles Vulliez », in Lettre des Fasti, t. 4 (2021), p. 38-41.

 

 

L’œuvre scientifique de Charles Vulliez